18 December 2023
Les permis de travail fermés: Une forme d’esclavage contemporain
Le 6 septembre dernier, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage a déclaré: « Je suis profondément troublé par les récits d’exploitation et d’abus dont m’ont fait part des travailleurs migrants » – Tomoya Obokata.
Cette lettre ouverte s’inscrit dans un désir de renseigner et conscientiser la population, les employeurs de travailleuses et travailleurs étrangers temporaires, les élu(e)s et les décideuses et décideurs. Elle témoigne d’une réalité vécue par des personnes immigrantes, mais également par les personnes qui les accompagnent tous les jours au sein des organismes communautaires à travers le Québec.
Les organismes œuvrant auprès des personnes travailleuses étrangères temporaires et saisonnières au quotidien observent et dénoncent les impacts du système de permis de travail fermés. Sous prétexte de combler un manque de main d’œuvre, des milliers de personnes sont susceptibles de travailler dans un environnement abusif. Ces personnes se retrouvent dépendantes d’un seul employeur qui ne respecte pas toujours les lois du travail et qui naviguent à son avantage les balises floues et inégales proposées par les gouvernements provincial et fédéral.
Quel rôle chaque acteur joue-t-il dans ce système ?
- Les employeurs ont un devoir d’assurer un environnement de travail respectueux des droits et de la dignité des travailleuses et travailleurs. Toutefois, la situation actuelle est teintée d’une augmentation significative des cas de violence physique, d’harcèlement psychologique et parfois même sexuelle envers ces personnes.
- Les deux paliers de gouvernement se déresponsabilisent de cette situation critique en se retournant la balle mutuellement sans agir concrètement pour mettre fin aux abus générés par les mécanismes actuels. Pour sa part, le gouvernement provincial a refusé d’ajuster le soutien financier destiné aux organismes d’accueil pour les nouveaux arrivants malgré une demande de soutien à la hausse par l’ensemble des organisations de premières lignes pour disposer des ressources nécessaires afin d’apporter les services nécessaires.
- L’ensemble des Québécoises et des Québécois sont également interpellés par cet enjeu de société qui conditionne la majorité des services dits essentiels. Il est donc important de se questionner sur le coût humain des biens et services locaux dont nous bénéficions collectivement. Non seulement en matière d’agriculture, mais également en termes de soins de santé, et de maintien de nos commerces de proximité: les travailleuses et travailleurs étrangers temporaires sont aux premières lignes.
Les permis de travail fermés engendrent de la discrimination. En effet, ce système vise à combler des postes peu prisés par de nombreux Québécois et Québécoises, mais impose des conditions de travail, d’habitation et de vie déraisonnables aux personnes immigrantes. Considérant que la perte de leur emploi représente l’invalidation de leur permis de travail, ce qui entraîne une mesure de renvoi du territoire, ces personnes sont maintenues dans la peur. Au-delà de la peur d’être remplacées et de subir des représailles si elles ne comblent pas les attentes de l’employeur ou menacent de porter plainte aux autorités pour dénoncer les abus, c’est la peur d’être potentiellement déporté qui plane constamment sur la tête des travailleurs
Les travailleuses et travailleurs étrangers temporaires sont maintenu(e)s dans ce système discriminatoire qui ne prend pas en compte leur désir d’intégrer la société québécoise. Les programmes d’immigration pour accéder à la résidence permanente sont ponctués de barrières structurelles pour bon nombre de travailleuses et travailleurs, alors que le souhait de vivre de façon permanente au Canada est souvent un incitatif pour faire venir cette main-d’œuvre. Malheureusement, ces personnes sont confrontées à la triste réalité que les exigences des gouvernements provincial et fédéral sont irréalistes et inatteignables.
Lorsqu’on intègre toutes ces conditions, on crée un ensemble qui met en péril la santé physique et mentale des travailleuses et travailleurs. Ceux-ci se retrouvent dans des situations précaires sans suffisamment de ressources pour répondre à leurs besoins. Le stress et l’anxiété sont parties prenantes de leur quotidien et entraînent des répercussions réelles sur leur vie et celle de leur famille.
Les organismes communautaires qui soutiennent ces travailleuses et travailleurs sont épuisés dus au manque de ressources et à la complexité des demandes d’accompagnement. Les organismes sont maintenant amenés à élargir leur champ d’action pour faire valoir les droits de ces personnes. Les organismes communautaires sont dépassés par le nombre de cas d’abus et de dossiers à traiter. Les autorités portent des actions nettement insuffisantes et n’encadrent pas suffisamment les employeurs fautifs. Les intervenants sur le terrain accumulent la fatigue et un sentiment d’impuissance vis-à-vis de leur capacité d’action dans ces conditions.
Recommandations de la TCRI
- Agir auprès des employeurs afin de prévenir les abus en matière de droits des travailleurs et imposer des mesures punitives aux employeurs récalcitrants.
- Émettre uniquement des permis de travail ouverts pour tous les travailleurs étrangers temporaires indépendamment de leur secteur, niveau de spécialisation et de leur province, territoire ou région de travail. Ne pas restreindre le droit des travailleurs étrangers de changer d’employeur, d’emploi ou de se déplacer dans le territoire.
- Octroyer plus facilement des permis de travail ouverts pour travailleurs vulnérables pour les titulaires de permis fermés victimes d’abus leur permettant ainsi de faire respecter leurs droits vis-à-vis un employeur abusif.
- Favoriser l’octroi de la résidence permanente pour les titulaires de permis de travail qui sont à l’emploi au Québec, et ce, de manière croissante.
- Que les travailleurs étrangers temporaires sélectionnés, déjà sur le territoire, ne devraient pas être comptabilisés dans les cibles d’admission annuelles lorsqu’ils accèdent à la résidence permanente, tout comme pour les étudiants diplômés au Québec dans le cadre du PEQ.