2 April 2024

Signez la lettre ouverte du Comité accès garderie

Demandons ensemble au gouvernement du Québec de renoncer à son intention de porter la cause en appel devant la Cour suprême du Canada !

2000 jours : voilà le long temps de lutte qui nous a menés jusqu’à la date historique du 7 février 2024. Ce jour-là, les parents en demande d’asile et leurs enfants ont vu leur histoire prendre un tournant majeur. En rouvrant l’accès de ces familles aux services de garde à contribution réduite, la Cour d’appel du Québec a donné l’impulsion décisive pour l’essor de toute la société québécoise.

Si la Charte canadienne des droits et libertés a pour mission de garantir que chaque personne, sans distinction de citoyenneté, soit traitée avec le même respect, la même dignité et la même considération, sans discrimination liées à des caractéristiques personnelles comme l’origine ethnique, la couleur ou le sexe, la décision du plus haut tribunal du Québec vient s’enligner avec cette mission, que la province s’est engagée à défendre depuis plus de 40 ans.

L’impulsion en faveur de l’égalité des sexes.

Le jugement de la Cour d’appel du Québec mis fin à une discrimination qui sévit au Québec depuis 2018. Interdire l’accès aux services de garde subventionnés constituait une discrimination fondée sur le sexe, allant à l’encontre de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne, qui protège explicitement le droit à l’égalité des sexes à plusieurs reprises dans son texte, témoignant de son importante valeur au regard de la loi et de la société québécoise et canadienne de manière générale. En effet, les préjudices qui affectent les parents demandeurs d’asile sont nombreux et touchent particulièrement les femmes du fait de leurs responsabilités historiques relatives à la garde et au soin de leurs enfants, et du fait de la situation de monoparentalité qui touche un grand nombre d’entre elles. Cette exclusion engendre plusieurs formes d’isolement et des dommages collatéraux sur leur santé mentale ainsi que sur leurs opportunités de contribuer activement à la société québécoise.

Alors que le gouvernement est appelé à rendre des comptes en matière d’égalité des sexes, la société québécoise est invitée à observer attentivement la réaction de ses dirigeants, qui témoigne d’elle-même de la limite de leurs engagements en la matière. Si l’égalité des sexes est conditionnelle aux moyens du gouvernement, alors ce sont toutes les femmes au Québec qui sont menacées.

Un droit essentiel pour le bon développement des tout-petits.

Les enfants de parents en demande d’asile sont susceptibles d’avoir été exposés à des situations difficiles et à des traumatismes extrêmement lourds à endosser pour leur jeune âge. Le dépistage de ces difficultés demanderait à être abordé le plus tôt possible, une compétence que les professionnels des garderies et CPE mettent en pratique au quotidien auprès des tout-petits. L’accès aux espaces éducatifs et socialisants est un droit essentiel pour le bon développement de ces derniers. Leur en refuser l’accès peut avoir des impacts catastrophiques sur leur socialisation, sur l’apprentissage de la langue dès le plus jeune âge et en termes d’enjeux de langage et de développement moteurs de manière générale. Une enquête menée par l’Observatoire des tout-petits confirme d’ailleurs l’importance cruciale de la prise en charge de ces enfants. Les statistiques collectées à Montréal révèlent que les enfants nés à l’étranger qui ont fréquenté exclusivement un CPE sont cinq fois moins exposés à la vulnérabilité dans au moins un domaine du développement que ceux n’ayant bénéficié d’aucun service éducatif. Protéger les droits de ces enfants relève de notre responsabilité collective.

Un droit capital pour la contribution des familles en demande d’asile à la société québécoise.

Le gouvernement du Québec doit être cohérent dans son discours. Interdire aux familles demandeuses d’asile d’accéder aux services de garde à contribution réduite entraînerait des coûts bien plus élevés pour le Québec à long terme, en ne permettant pas à celles-ci de contribuer activement à la société. En persistant à exclure ces familles des services de garde subventionnés, il va à l’encontre de ses propres intérêts sociaux, économiques et linguistiques, condamnant ces personnes au chômage, à la pauvreté et à la dépendance aux prestations sociales. Leur contribution économique sous la forme d’impôts, de consommation et de participation au marché du travail compenserait largement les coûts initiaux des garderies. Aussi, si la francisation des personnes immigrantes allophones au Québec est une priorité pour le gouvernement, celui-ci ne devrait pas mettre de barrière à ces familles, car elles pourraient automatiquement libérer du temps pour apprendre le français en bénéficiant des services de garde subventionnés. En leur ôtant ces opportunités, le gouvernement leur enlève la possibilité d’avoir le pouvoir sur leur vie et sur leur intégration. En souhaitant porter la décision de la Cour d’appel du Québec devant la Cour suprême du Canada, il porte atteinte à leur droit fondamental à la dignité. Par conséquent, c’est toute la société québécoise qui se voit privée des contributions économiques et sociales que ces personnes pourraient apporter.

N’oublions pas la longue tradition humanitaire du Québec à l’égard des personnes en quête de protection : faisons-lui honneur.

Le Québec jouit encore aujourd’hui de sa longue tradition humanitaire. La contribution des personnes en demande d’asile et réfugiées est un trésor d’une valeur inestimable pour l’ensemble de la société québécoise. Elles contribuent à la vitalité de la province en l’enrichissant de sa diversité culturelle. Elles jouent un rôle essentiel dans le dynamisme économique du Québec en apportant de nouvelles compétences, de nouvelles perspectives et de nouveaux talents. Les discours stigmatisants de nos dirigeants au regard des personnes demandeuses d’asile reflètent un acharnement qui a pour simple vocation de faire diversion des responsabilités du gouvernement face à la crise des services publics. La mise en avant d’un seuil critique, alors que les personnes en demande d’asile représentent 1,8 % de la population du Québec et que le budget qui leur est alloué ne constitue qu’environ 0,25 % du portefeuille global du Québec, soulève des questions sur la gestion budgétaire du gouvernement. En adoptant cette stratégie, celui-ci détourne les québécois.es des véritables enjeux auxquels est confrontée la province, tout comme il les aseptise face au parcours et aux réalités auxquelles sont confrontées ces personnes.

À l’heure où les véritables crises humanitaires se multiplient dans les pays du Sud, il est impératif que le gouvernement et l’ensemble de la société québécoise prennent du recul afin de mesurer pleinement la responsabilité des pays du Nord et de leurs entreprises multinationales dans le phénomène croissant des déplacements de personnes en quête de protection. Il est important de souligner que dans son jugement, la Cour d’appel du Québec appelle le gouvernement à ne pas porter la cause devant la Cour suprême. C’est un appel que les organismes communautaires et de défense des droits humains, ainsi que les familles en demande d’asile et les personnes de la société civile qui les soutiennent, renouvellent à travers cette lettre ouverte.

Témoignages

«Les familles de demandeurs d’asile, qui arrivent en grand nombre au Québec, vivent des situations de vulnérabilité et de précarité. Allophones, elles possèdent des ressources financières très limitées et ne peuvent plus compter sur leur réseau de soutien habituel (grands-parents, oncles et tantes, etc.). Certes, elles peuvent être admissibles à un permis de travail ouvert, mais trouver un emploi est chronophage. Grâce aux garderies à contribution réduite, les parents de ces familles disposent de temps pour suivre une formation ou rechercher un travail. Ils peuvent, par exemple, assister aux cours de francisation du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, ce qui facilitera leur embauche et leur intégration. Ces familles prendront ainsi une part active dans le développement de notre société francophone et inclusive.»

Anait Aleksanian, Présidente du Regroupement des organismes en francisation au Québec (ROFQ).